Portrait de Bill Russell lors de la dernière saison de sa carrière en 1969. Photo prise par Dick Raphael pour l’agence NBAE.

Bill Russell est une légende du sport américain, c’est un fait. Peu connue en France, l’ancienne star de la NBA est une véritable légende vivante outre-Atlantique. Reconnu par ses pairs pour son palmarès impressionnant et pour l’importance politique et sociale qu’il a eu dans la grande ligue. À l’instar d’un Mohamed Ali par exemple, il appartient à la caste des athlètes dont la carrière peut nourrir et faire écho au mouvement de contestation Black Lives Matter. Un homme qui a profondément marqué de son empreinte les débats et les luttes progressistes émanant du monde du sport. Un sportif à part, qu’il me tardait de vous faire découvrir.

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> Une légende NBA :

Opposition légendaire entre Wilt Chamberlain et Bill Russell. Le pivot des Celtics est entrain de contrer un lay up du géant de Philadelphie qui mesurait 10cm de plus que lui. Photo prise par Dick Raphael pour NBAE.

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Avant de parler de l’impact culturel et social de Bill Russell j’aimerais vous montrer comment le natif de Louisiane a marqué son sport, en devenant l’un des meilleurs joueurs de l’histoire.

Auteur d’une carrière fantastique qu’il a parcouru dans son entièreté chez les Boston Celtics entre 1956 et 1969. Celui que l’on surnommait The Good Lord a été célébré comme l’un des, si ce n’est le, meilleur défenseur intérieur de l’histoire. Bill Russell était capable de défendre sur n’importe quel attaquant qui s’autorisait l’audace d’entrer dans sa raquette. Le Père de la défense était un pivot de 2m06 pour 102kg ce qui n’était pas exceptionnel comparé aux standards NBA de l’époque. En effet en 1950, les pivots étaient traditionnellement des joueurs d’au moins 2m10 pour 120kg qui étaient plus considérés comme des joueurs dissuasifs (de par leurs coups et leur agressivité) que comme de véritables menaces défensives intelligentes. Relativement « petit » pour le poste, Bill Russell l’était. Cependant, il était doué de qualités athlétiques impressionnantes (vitesse, force, envergure et détente) qui lui permettaient de contrer n’importe quel adversaire. Un sur-athlète qui a apporté une dimension verticale révolutionnaire dès son arrivée en NBA. Ce que le pivot américain perdait en taille, il le compensait par son exceptionnelle intelligence de jeu et son leadership sans failles. Général en chef de l’escouade verte, il était, au-delà d’un joueur talentueux, l’un des plus grands compétiteurs de l’histoire de ce sport. Doté de capacités relativement limitées au scoring, il a tout de même réussi à marcher sur la ligue pendant de nombreuses années en étant le point central de la stratégie des Celtics. Artisan principal d’une ère de domination presque sans partage sur la ligue. Son succès s’est aussi bien traduit sur le plan individuel que sur le plan collectif. Malgré le fait qu’il n’est joué « que 13 ans » en NBA ; il a tout de même réussi à glaner 11 titres de champions qui font de lui le recordman du nombre de titres dans l’histoire de la grande ligue. Légende parmi les légendes, il a aussi remporté de nombreuses récompenses individuelles. Il a notamment été élu 5 fois MVP (meilleur joueur d’une saison), 12 fois All-Star, a été auréolé d’un titre de champion olympique en 1956 avant d’être célébré comme sportif de l’année 1968. Une carrière hors du commun qui n’a cessé d’être sublimée par ses actions sur et en dehors des terrains. Il a su parsemer son œuvre de combats et d’exploits montrant ainsi qu’il était un pionnier en tous points. Pour donner une nouvelle preuve de sa greatness* à ceux qui en douteraient encore. En août 1966, il est devenu le premier entraîneur noir de l’histoire du sport américain. The Good Lord n’eut besoin que de 3 ans de mandat en tant qu’entraîneur-joueur (entre 1966 et 1969) pour remporter deux titres de champion. Un exploit qui reste, encore aujourd’hui, du jamais-vu !

Si l’on ne devait retenir qu’une chose de cette courte présentation de l’athlète, ça serait qu’il ne fallut que 13 ans de bons et loyaux services à Bill Russell pour inscrire son nom au Panthéon des légendes de la balle orange. Un joueur fantastique, héros de toute une communauté, qui fut sans aucun doute la première icône noire à marquer de son empreinte la NBA dans son ensemble.

Le 27 avril 1964, explosion de joie après le 6ème titre des Boston Celtics. Bill Russell et Red Auerbach se congratulent en étant portés par la foule. Photo originale, auteur inconnu.

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> Une Jeunesse formatrice:

Dernière saison en université à San Francisco en 1956 avant d’aller en NBA. Photographe inconnu.

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« Bill » William Felton Russell est née en 1934 dans l’état de Louisiane. Il a été confronté très jeune à la ségrégation raciale qui sévissait aux États-Unis, un quotidien brutal qui a profondément ancré en lui un désir de revendications sociales. Témoins d’horreurs d’un autre temps, le grand Bill et a dû grandir et évoluer dans une société qui lui imposait des barrières du fait de sa couleur de peau. Selon ses propres dires : son désir de contestation sociale a émergé grâce à l’influence de certains membres de sa famille qui ont tenu rôles d’exemples dans sa jeunesse. Pour lui, trois personnes ont influencé sa vision du monde de façon radicale : son grand-père, sa mère et son père.

Son grand-père, qu’il appelait affectueusement « old men », est à l’origine de sa prise de conscience vis-à-vis des inégalités socio-culturelles dans la société américaine. Lors d’un entretien qu’il accordait au Musée National de l’Histoire et de la Culture Afro-Américaine en 2013, il raconte que son grand-père, bravant les interdits, avait rassemblé ses économies pour construire une école afin que les jeunes défavorisés de Monroe (notamment les enfants noirs) puissent avoir accès à l’éducation. « Mon grand-père a fait tout ce qu’il a pu pour que l’on puisse aller à l’école, il a rassemblé ses économies afin d’acheter du bois pour créer une école. Il a aussi rassemblé des fonds pour nous payer un professeur pour l’année ». Bill Russell et son grand frère Charlie se considèrent comme éternellement reconnaissant vis-à-vis de leur grand-père car selon eux, l’école est ce qui leur a permis de devenir des hommes accomplis. L’éducation a toujours été un élément fondamental pour la famille Russell. En effet, lorsque sa mère était mourante en 1946, elle a fait promettre à son mari de « donner à ses enfants l’éducation qu’ils méritent » le genre de promesse qui marque une vie. Pour exhausser l’ultime souhait de sa femme, son père, « Charlie » Russell, a fait tous les sacrifices possibles et imaginables. Il prit le rôle d’un protecteur, s’affirmant encore d’avantage comme un soutien indéfectible pour ses enfants. Il endossa immédiatement son nouveau rôle en déclarant son fils : « Bill tu as subi un événement terrible mais maintenant qu’elle est partie, tu te dois de vivre la vie qu’elle aurait voulu pour toi. Une vie éduquée et je vais tout faire pour t’aider ». Pour arriver à payer l’éducation de ses fils Charles Russell a cumulé les emplois. La légende NBA parle encore aujourd’hui de son père comme d’un « super-héros ». Celui qui, acceptant tous les sacrifices, lui a inculqué la volonté de réussir quel qu’en soit le prix. Grâce au soutien des membres de sa famille, il a agrémenté sa joie de vivre naturelle d’une force mentale à toute épreuve. Lorsqu’on lui demande d’où lui vient son caractère, Bill nous répond : « Mon caractère est né de l’amour inconditionnel de mes parents, j’ai toujours su qu’ils m’aimaient. C’est la première chose dont je me souviens et la dernière chose que j’oublierais ».

C’est donc de ce désir d’éducation et d’accomplissement qu’est née la force de travail et l’esprit de compétiteur d’un des plus grands basketteurs de l’histoire. Son éducation lui a permis de se rendre compte qu’il y avait des injustices et qu’il pouvait agir concrètement pour les atténuer.

Il a marqué 26 points et prends 27 rebonds pour faire gagner le deuxième titre d’affilé à son université de San Francisco. photo prise par l’Université de San Francisco pour l’agence Collegiate.

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> Les Celtics :

Duel en haute altitude entre Bill Russell (Celtics) et Elgin Baylor (Lakers) lors du game 3 des finales NBA de 1966. Photo de Walter Loos Jr pour Sports Illustrated. Elle est exposée au Musée National de la Culture et de l’Histoire Afro-américaine.

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Comme vous vous en doutez, le racisme lattant aux États-Unis ne s’arrêtait pas aux frontières des terrains. La balle orange était soumise aux mêmes lois absurdes que n’importe quel autre secteur de la société américaine.

Drafté en 1956 Bill Russell s’apprêtait à entrer dans « une ligue de blancs ». Le début de sa carrière fut donc marqué par de nombreuses injustices qui ont rendu difficile son intégration en NBA. En effet malgré le progressisme dont la grande ligue faisait preuve sur certains aspects, elle souffrait encore à l’époque de profondes inégalités. La NBA avait besoin d’être bouleversée de l’intérieur et elle peut remercier Bill pour cela. Heureusement pour, lui le pivot américain eut la chance d’être choisi par les Boston Celtics qui étaient à l’époque une institution reconnue pour son progressisme. La franchise qui arbore le trèfle vert sur son écusson est la première à avoir drafté un joueur noir (Earl Loyd en 1950), la première à avoir aligné un 5 majeur entièrement noir (le 26 décembre 1964 tous les joueurs titulaires de l’équipe étaient noirs). Enfin, elle fut aussi la première franchise NBA à avoir été coachée par un entraîneur noir (Bill Russell en 1966). En avance sur les esprits de son temps, la franchise du Massachusetts s’évertuait à se constituer la meilleure équipe possible, sans tenir compte de la couleur de peau de ses joueurs. On doit cette politique progressiste à la direction de la franchise et notamment à l’entraîneur qui a choisi Bill Russell à la draft : Red Auerbach. Un entraîneur reconnu comme légendaire à bien des titres, mais c’est dans sa gestion de sa relation avec Bill que réside le plus grand accomplissement de sa carrière. En effet, l’entente entre Red et Bill fut fondamentale dans la dynastie des Celtics. Les deux hommes se portaient une affection sincère qui se ressentait sur comme en-dehors des terrains. À de nombreuses reprises, le pivot a fait étalage de l’amour qu’il portait à son coach. Lorsqu’on lui demanda pourquoi il considérait son entraîneur comme le meilleur qu’il aurait pu avoir, il déclara « Red est le seul coach qui a pris la peine de se battre pour moi ». Ce à quoi Red répondit « Je ne peux pas demander à mon équipe de se battre pour moi si je ne prends pas la responsabilité de les défendre à chaque instant ». L’entraîneur des Celtics s’est donc servi de ce respect mutuel ainsi que de l’incroyable talent de son protégé, pour créer une véritable muraille défensive qui permettait à l’équipe de déclencher des contre-attaques supersoniques dès la récupération de la balle et de marquer des points facilement sans laissé le temps à l’adversaire de se replacer. C’est comme ça que l’on crée une machine à gagner des titres, une machine qui éblouit les foules.

Pour Bill Russell le comportement du technicien qui le dirigeait lui prouvait que « le respect est la chose la plus importante au monde, le seul moteur qui permet d’avancer sereinement. Le socle qui permet de tout construire». Un respect essentiel donc que le pivot ne retrouvait pas partout dans sa ville.

Sur cette photo datant du 12 décembre 1964 Bill Russell est félicité par son coach Red Auerbach car il vient d’atteindre la barre des 10 000 points inscrits en carrière. Faite par Bill Chaplis pour l’agence AP Photo.

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> Boston :

« The Soiling of Old Glory » est une photographie importante de l’histoire des États-Unis prise par Stanley Forman le 5 avril 1976. Sa force évocatrice permet ici d’illustrer le racisme dont souffrait la ville de Boston. Le fait qu’elle ait été prise presque 10 ans après la fin de la carrière du grand Bill accentue d’autant plus sa violence.

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Au cœur des années 50 le racisme sévissait partout à Boston. Malgré l’attachement que Bill Russell portait aux valeurs de sa franchise, il a dû affronter le racisme à de nombreux moments dans « sa propre ville ».

À titre d’exemple il déclarait dans une interview « Boston est une ville en proie au racisme, l’équipe de basket demeure une exception. […] Beaucoup de journalistes de la ville sont venus me voir pour me dire qu’ils ne voteraient pas pour moi pour le titre de meilleur joueur de l’année parce que j’étais un noir ». Boston était donc une ville en contradiction avec les valeurs de sa franchise de basket. Il fallut donc une relation de la force de celle qu’entretenait le coach et son joueur pour que Bill puisse s’épanouir en tant qu’athlète et en tant qu’homme. La meilleure illustration du respect mutuel entre l’élève et son mentor est une anecdote qui s’est déroulée sur fond de racisme, à Boston après le titre de 1969. Un titre où Bill Russell a brillé comme entraîneur et comme joueur. Quelques jours après la finale, une parade a été organisée en l’honneur du deuxième titre obtenu sous les ordres de coach Russell. Un moment de liesse et de communion avec le public venu célébrer la victoire de ses héros. En dépit de la joie provoquée par une telle aventure, le tout fut entrecoupé d’insultes et de remarques abjectes adressées à l’encontre du premier entraîneur noir victorieux de l’histoire. « Certains critiquaient l’équipe en dépit de la victoire. Malgré la réussite sportive, il était impensable pour les ignorants que « leurs Celtics » soient dirigés par un noir ». Perdue dans son triomphe, la célébration avait un goût amer. Le soir même, dégoûté et outré par tant d’ignorances, la légende NBA a décidé de mettre un terme à sa carrière. Cette décision ne sortait pas de nulle part, elle découlait d’une baisse de motivation du pivot pour le basket, après de nombreuses années d’effort, au profit d’autres centres d’intérêts (philosophie, lutte pour les droits sociaux et littérature). Néanmoins la décision fut perçue comme abrupte par les observateurs. En tant que mentor Red Auerbach s’est senti obligé d’essayer de convaincre son ancien joueur de revenir sur sa décision. Ce que raconte l’homme aux 11 bagues de champions c’est que son ancien coach lui a demandé si « le fait d’arrêter sa carrière le rendrait plus heureux que de la continuer ? » Il aurait répondu « être en paix avec l’idée que sa carrière prenne fin » et le respect que portait le coach à son disciple l’a contraint a accepté sa décision sans jamais tenter de le convaincre de nouveau. Si l’on prend l’exemple de Bill Russell on s’aperçoit d’un écart démesuré dans l’évolution de son image auprès du public de Boston. En 1956, lors de son arrivée en NBA, il était fréquemment appelé « négro » ou « babouin » tandis qu’en 2013 sa carrière a été honorée par la construction d’une statue à son image. Il est aujourd’hui considéré comme l’une des plus grandes légendes de la ville. Une belle revanche pour le grand Bill qui déclarait à la fin de sa carrière « Je n’ai jamais eu de problèmes avec la relation que j’entretenais avec mes détracteurs car je n’ai jamais eu besoin d’avoir la validation de qui que ce soit. Je n’ai jamais eu l’impression de jouer pour Boston, j’ai toujours joué pour les Celtics. Ceux qui me respectaient pour qui j’étais ».

Boston était une ville en proie au racisme, c’est indéniable. Un fardeau très présent dans la société américaine des années 50 et 60, cependant il serait inconscient de croire qu’il n’existe plus aujourd’hui. Le sport apparut à l’époque comme un bon moyen de faire émerger des figures qui ont eu accès à une vitrine leur permettant de défendre leurs idées.

Portrait noir et blanc fait par Sam Maller lors d’une interview pour The Players’ Tribune.

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> Sport, philosophie et combats:

Bill Russell assis sur le banc lors d’une victoire des Celtics dans leur stade du Boston Garden en 1968. Photo prise par Dick Raphael pour l’agence NBAE.

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« Le sport est un savant mélange entre la guerre, la politique, la religion et l’art ».

Cette définition du sport donnée par Bill Russell me semble très juste en plus d’être belle. Toutefois le sens que je lui donne aujourd’hui diffère un peu de ce qu’elle signifiait pour le grand Bill à l’époque. Le sport est, selon moi, un extraordinaire moyen de rassembler les gens. Une source de débats, de compétions et de luttes inépuisables articulée autour d’objectifs qui en réalité importent peu. En effet, j’aime le sport car entre les limites d’un terrain, sur ce petit espace à part, les nations et les villes confrontent entre elles leurs rivalités sportives. Chaque match, chaque compétition devient le théâtre d’affrontements passionnés. Le sport est un exutoire. Ici on se chambre allégrement, on s’insulte même parfois, on revendique son appartenance à une seule ville et on cultive son chauvinisme. C’est une pratique étrange où rien n’a vraiment d’importance mais où tout compte, où rien n’est grave jusqu’à ce que l’on gagne ou que l’on perde. C’est un formidable vecteur de changements au sein des sociétés, une porte ouverte pour les avancés sociales qui laisse de côté les différences de chacun pour ne tenir compte que du plaisir qu’il procure. Toutefois j’admets que m’a vision idéalisée du sport est aussi belle que naïve. Bien qu’elle corresponde à ce que le sport représente pour moi aujourd’hui, elle ne peut pas totalement s’appliquer à l’époque dans laquelle Bill Russell a dû jouer. The Good Lord a évolué dans un milieu où la couleur de sa peau était un problème. Il a été obligé de prouver par son travail acharné, son caractère et surtout son talent qu’il avait sa place en NBA, autant que n’importe quel autre athlète. Bill Russell était un guerrier, il a dû se battre contre ses adversaires, contre les supporters de sa propre équipe, contre certains médias, contre le racisme en général. Ma vision d’un sport idéalisé ne peut donc pas tout à fait s’appliquer ici car le contexte est différent. Le pivot américain était aussi un exceptionnel leader puisqu’il se battait corps et âme pour défendre ses coéquipiers « Il n’a pas attendu d’être en sécurité pour se battre contre la violence et l’injustice ». On retrouve ici la notion de la guerre au sein du sport. La vision guerrière des athlètes semble pourtant trop simpliste et dépassée. Il est loin le temps ou leurs impacts ne se limitait qu’à leur force physique et à la puissance qu’elle dégageait. Avant d’être un guerrier, le Père de la Défense était un artiste sur un terrain. « Si vous faites quelque chose à un niveau que très peu de gens peuvent atteindre. Ce que vous savez faire devient de l’art ». Précurseur en terme de défense, il a su emmener son art vers des cimes insoupçonnées à l’époque. Il est devenu une légende de ce sport et a atteint le panthéon de la balle orange. Si on y réfléchit un peu, on se rend compte que ce n’est pas un hasard lorsque l’on qualifie de « légende » les joueurs qui marquent leur discipline. En effet, le sport est un monde d’histoire, un endroit où les héros sont mythifiés jusqu’à se rapprocher d’une dimension religieuse sans jamais l’atteindre complétement. Elles sont peu les disciplines qui donnent une vitrine à des individus qui ont le plus souvent grandis dans des milieux pauvres. Le sport a toujours été un extraordinaire moyen pour faire passer une idée et Bill Russell le savait en écrivant ces lignes « Le sport est un savant mélange entre la guerre, la politique, la religion et l’art ». C’est pour cette raison que la politique a toujours été l’aspect le plus important pour lui, la valeur qui méritait d’être portée avec le plus de force. Bill Russell était une légende engagée ça ne fait aucun doute. Un athlète qui s’est battu pour s’intégrer dans une « ligue de blancs » et un homme qui a toujours cherché à bousculer la société qui l’entourait à travers le sport. Selon ses propres dires il a toujours été fier d’être noir, fier d’avoir réussi sans jamais le renier. Il existe de nombreuses anecdotes dans la carrière du grand Bill qui l’illustre cela. Par exemple une se trouvant dans son livre Go up for Glory : « Un soir de décembre 1956, dans un match nous opposant (les Boston Celtics) aux Saint Louis Hawks. La balle était en l’air après un shoot manqué par un adversaire. Engagés dans notre duel, Bob Petit et moi sautons en même temps pour la récupérer. Je réussis l’exploit d’arracher le ballon à se formidable rebondeur. Cependant mon action, si importante pour moi fût accueilli par de la haine. « Attention babouin, tu as été recouvert de chocolat ». « Sale nègre ». Aucune place n’était laissé au doute pour savoir qui les fans étaient entrain d’insulter. J’étais le seul athlète noir sur le terrain. Cependant j’ai toujours été fier d’être noir et jamais ça ne changera ». Il est arrivé dans un contexte difficile mais n’a jamais cessé de se battre pour améliorer sa condition et celle des autres.

The Good Lord a cultivé sa différence pour en faire une force, pour porter ses idées, pour montrer aux autres qu’ils pouvaient le faire. Un héros noir qui ne s’est jamais replié entièrement que sur sa communauté. Ouvert aux autres, chaque soutien était le bienvenu dans sa quête de faire évoluer les mentalités.

Les étudiants entourent Bill Russell après sa conférence « Freedom Graduation » donnée au Patrick T. Campbell Junior High School de Boston. Photo prise le 22 juin 1966 par Frank O’Brien pour le journal The Boston Globe.

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> Une ligue de blancs:

Lors de sa première année NBA en 1956, Bill Russell a intégré une équipe qui n’était composée que de joueurs blancs. La photo est tirée du journal Sporting News de Boston.

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Il faut toutefois éviter de tomber dans le ridicule en catégorisant tous les blancs qui composaient la ligue dans les années 50-60’ comme les adversaires racistes et arriérés de notre récit.

En effet, il me paraît important d’apporter un peu de nuance en parlant de certaines personnes qui ont aidé Bill Russell de bon cœur, ne tenant pas compte de la couleur de sa peau. Vous connaissez désormais l’amour que portait le Père de la Défense à son ancien coach Red Auerbach, mais on peut aussi parler du profond respect qu’il avait pour le président de la NBA David Stern « David Stern est probablement le meilleur président qu’un sport est jamais eu dans l’histoire de ce pays ». David Stern a été le président de la ligue pendant un long moment et il a porté tout au long de son mandat les idées d’ouverture et de progressisme de la NBA. Bill Russell considérait énormément l’ancien président de la ligue qui nous a quitté récemment. Le seul problème de cet exemple de relation c’est que le mandat de David Stern a commencé en 1984, soit longtemps après la fin de carrière du Père de la défense. Il existe cependant une autre relation qui pourrait illustrer le soutient que Bill Russell a reçu dans sa carrière. Une relation qui trône devant les autres. En effet, le pivot américain était fan de Georges Mikan avant d’arriver en NBA, une légende des Minneapolis Lakers des années 40-50’. Celui qui est historiquement reconnu comme la première superstar de l’histoire NBA était considéré par le joueur des Celtics comme « une idole de jeunesse, qui est devenu un de mes amis les plus cher ». Lors de leur première rencontre Bill était jeune et donc forcément intimidé par son idole comme on le serait tous dans ce cas-là. C’était mal connaître Georges Mikan qui a décidé de bousculé les codes en montrant toute sa classe et son élégance vis-à-vis du jeune joueur qu’était encore Bill à l’époque : « Georges Mikan m’a présenté à son fils, ce qui était un honneur pour moi. Je m’apprêtais à m’adresser à ce petit bonhomme mais il me coupa avant que je puisse dire un mot et me présenta à lui comme le meilleur pivot à avoir jamais joué au basket. J’ai été incroyablement flatté que ce grand monsieur du basket ait fait preuve d’autant de gentillesse envers moi. […] Si vous êtes un homme intègre il existe très peu de personnes qui peuvent se permettre de vous insulter ou de vous honorer ». Bill Russell parle encore de ce moment avec émotion et il a déclaré après l’avoir raconté en interview « la chose la plus importante de ma carrière reste les amis que je me suis fait ». Il était donc loin d’être seul pour affronter la dureté de la NBA. Il a pu se reposer sur de nombreuses figures de la ligue pour l’aider à la changer de l’intérieur.

Il avait le désir profond de bousculer les codes établis qui lui paraissaient injustes. Sauf que dans une société aussi radicale que celle des États-Unis, la violence et les injustices ne s’arrêtaient jamais au simple cadre du sport.

Bob Cousy (légendaire meneur des Boston Celtics) prends dans ses bras le pivot américain pour célébrer la victoire en finale NBA 1963 face aux Lakers. Photo prise par Ed Widdis pour l’agence AP Photo.

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> Black Lives Matter :

Medgar Evers lorsqu’il était secrétaire général du NAACP en 1960. Photo personnelle prise par Michael Ochs appartenant à Getty Images.

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La violence contre la population noire américaine était donc partout et existait malheureusement avant le meurtre de Georges Floyd en mai 2020. Si on effectue un petit travail de recherche, on s’aperçoit que certains événements, tristement similaires à ceux qui ont marqué le mouvement Black Lives Matter cette année, ont eux lieux pendant la carrière de Bill Russell.

Pour n’utiliser qu’un exemple parmi tant d’autres. On peut parler du meurtre de Medgar Evers qui a eu lieu le 12 juin 1963 à Jackson, dans le Mississippi. L’histoire sordide de l’assassinat d’un jeune militant appartenant à la NAACP « National Association for the Advencement of Colored People » qui a été abattu de plusieurs balles dans le dos par un membre de Ku Klux Klan. Cette affaire remua l’Amérique pendant de nombreux mois provoquant de nombreuses réactions. Dès que Bill Russell eut vent de ce drame, il appela le frère du défunt, Charles Evers, en lui demandant si il pouvait faire quelque chose. « Il m’a appelé et m’a demandé ce qu’il pouvait faire pour aider ? Je lui ai répondu de venir à l’enterrement de mon frère même si je savais que la région était dangereuse pour une figure iconique de la culture noire ». Malgré le réel danger auquel il allait être confronté, Bill Russell apporta directement son soutien à la famille Evers et à la cause progressiste qu’ils défendaient. Il déclara ne pas avoir hésité une seule seconde, « Je préfère encore mourir pour quelque chose, que de vivre pour rien ». Le grand Bill a apporté de la visibilité et de l’engouement autour de la défense des droits des noirs aux États-Unis. Après la cérémonie, Charles Evers lui rendu hommage pour les actions qu’il a menées afin de porter cette cause : « On ne pouvait pas boire aux fontaines d’eau, utiliser les toilettes, ni même nous inscrire pour voter parce que nous étions noirs. Mais parce que des gens comme Bill étaient prêts à venir ici et à se tenir côte à côte avec nous, nous savions que nous pouvions changer toutes ces lois stupides. En restant à nos côtés, il a contribué à tous les changements qui se sont produits ». Des événements qui, bien qu’ils soient datés, nous apparaissent encore comme tristement d’actualités prouvant une fois de plus la profondeur de la déchirure sociale américaine. Le meurtre de Medgar Evers a profondément bouleversé la communauté afro-américaine en son temps au même titre que ceux de Georges Floyd ou de Jacob Blake cette année.

Bill Russell avait pris position en 1963 et, à l’instar du grand Bill, de nombreux joueurs NBA ont protesté en 2020 pour défendre les mêmes valeurs. Une source de fierté pour celui qui déclarait en août 2020 « Ils se lèvent pour ce qui est juste ». Un hommage à la hauteur de leurs actions.

Remise du trophée de meilleur joueur des finales 2013 à LeBron James. Les deux hommes ont toujours observé un respect mutuel de par leur engagement politique et leur talent de basketteur. Photo prise par Nathaniel S. Butler pour l’agence NBAE.

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> Au-delà du terrain :

Le Sommet de Cleveland de juin 1967. Une conférence organisée par des légendes du sport Afro-Américain afin de soutenir Mohamed Ali dans sa décision de ne pas participer à la guerre du Viêtnam. Au premier rang de gauche à droite: Bill Russell; Cassius Clay (ancien nom de Mohamed Ali); Jim Brown et Lew Alcindor (ancien nom de Kareem Abdul-Jabbar). Photo originale prise par M. Bettman.

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The Good Lord n’a jamais pu réprimer son désir de faire bouger les choses, son besoin d’être un exemple. Il a su défendre ce en quoi il croyait profondément en affirmant clairement ses idées. Soutien de toute cause qui résonnait en lui. Il s’est notamment joint aux luttes menées par Kareem Abdul-Jabbar, Mohamed Ali ou Martin Luther King.

Il a pris part aux marches civiques, donnant beaucoup de conférences en Amérique comme en Afrique pour promouvoir les droits des noirs (notamment auprès des jeunes) et supportant actions revendicatrices qui portaient ses idées. Acteur dans de nombreuses actions fondatrices pour le droit des noirs aux États-Unis. Il participa notamment au sommet de Cleveland de juin 1967 où, accompagné de nombreuses autres icônes du sport afro-américain, il prit la défense de Mohamed Ali lorsqu’il refusait de participer à la guerre du Viêtnam par conviction. The Good Lord a apporté son soutient à Mohamed Ali en preuve de leur amitié et du respect qu’il avait pour lui. « J’ai toujours eu un grand respect pour Mohamed Ali. Pas seulement pour le grand champion qu’il était, mais aussi car c’était un très bon juge de l’âme humaine et un homme au-delà du courage ». Il aussi participé à la marche sur Washington de 1963 mené par Martin Luther King, célèbre manifestation s’il en est, qui fut le théâtre d’un discours commençant simplement par ses mots « I have a dream ». Là, au cœur de la foule il pouvait exprimer ses convictions entouré par des gens qui pensaient comme lui, animé par le désir de faire bouger les choses. Bien qu’il s’agissait d’une véritable avancé c’était loin d’être un aboutissement pour lui. En effet, lorsqu’on lui demande aujourd’hui ce qu’il pense des avancées progressistes il répond : « J’ai entendu dire récemment combien on avait progressé en cinquante ans. Mais de mon point de vue, on ne peut mesurer le progrès que par le chemin qu’il reste à parcourir. Je suis là avec vous, pour vous dire que le combat vient à peine de commencer ». Il a prononcé ces mots en 2013, le jour de la commémoration du discours de Martin Luther King.

Le grand Bill a 87 ans au moment où j’écris ces lignes. Le corps a changé bien sûr, le temps et les combats ayant marqués son visage. Il reste de cela le même désir d’évolution, la même envie d’améliorer la société. Il est de ces hommes qui inspirent au-delà des frontières qui les contraignaient à leurs débuts. Un homme à part pour qui « la vie vaut le coup seulement si on trouve le moyen d’inspirer ceux qui nous suivent».

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Bill Russell pose pour une photo en 1996 où il montre ses 11 bagues de champions. Elle fut prise par Nathaniel S. Butler pour l’agence NBAE.

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J’aimerais conclure mais comment résumer une vie si riche en peu de mots ? Une de ses citations est-elle assez forte pour résumer sa pensée ? Je pense qu’il en existe une, aussi courte que belle: « Il y a longtemps, on m’a demandé ce que je penserais si un gay jouait au basketball ? J’ai demandé : est-ce qu’il joue bien ? ». Le combat pour le droit de chacun peut prendre des formes diverses mais j’en suis maintenant convaincu, il faut un grand homme pour le porter.

Bill Russell : une légende engagée, un article de Tomas Jeusset.

6 Replies to “BILL RUSSELL: une légende engagée  

  1. Une légende inconnue de ce côté de l’Atlantique. La petite histoire se croise avec la grande, le sport se mêle avec la politique et les affaires sociétales. Des sportifs qui ont dit non en mettant en péril leur carrière voire plus sont nombreux. De ces femmes et de ces hommes animés par leur passion, on en retiens souvent leurs exploits sur le terrain, rarement leurs engagements citoyen.
    Un bel article qui rend honneur à cet homme juste.

    1. Il me tardait de vous le faire découvrir car ce genre de légende mérite d’être connue. Reconnu pour leurs actions sur et en dehors du terrain.

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