Le sport est un récit complexe parsemé de glorieux instants. Un endroit à part, où les moments de grâce furtifs finissent par devenir des souvenirs que l’on ne veut pas oublier. De temps à autre, un simple battement de cils suffit pour que les personnages de cette histoire en changent le cours, inscrivant ainsi leurs noms au panthéon des rêves et des légendes. Une question subsiste malgré tout : comment les générations successives peuvent-elles encore s’émouvoir de ces exploits passés tandis que le temps semble vouloir inlassablement continuer sa course ? De fait, la photographie apparait ici comme un formidable outil, permettant de ralentir le temps jusqu’à le suspendre animant ainsi des images qui résonnent encore aujourd’hui dans les mémoires. En essayant d’y insuffler un sens, We Sport et Le Fuoriclasse profitent de l’été pour vous proposer une série d’articles qui vous emmènera derrière quelques clichés entrés dans la légende. Aujourd’hui, focus sur la célèbre finale de l’Euro 2000 qui opposait alors la France à l’Italie.
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> Confirmer l’exploit :
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Cela peut paraître évident, mais la génération de joueurs français qui s’apprêtait à disputer l’Euro 2000 avait un état d’esprit particulier quand la compétition a débuté. En effet, le groupe avait fondamentalement été marqué par un évènement qui s’était tenu deux ans auparavant : la coupe du monde 1998, en France. Un titre qui, par l’émotion qu’il a suscité, s’est affranchi du simple cadre sportif en devenant instantanément une fierté partagée de tous. Les Bleus ont été sacrés champions du monde pour la première fois de leur histoire, contre toute attente et devant leur public. Un exploit dantesque qui a animé les petits comme les grands d’une même joie, innocente et communicative. Sur le toit du monde en 98’ et fière d’un succès qui aura fait sa légende, l’équipe de France se trouvait alors obligée d’assumer son nouveau statut, celui de grandissime favorite de la compétition à venir. Plus facile à dire qu’à faire, évidement, car si dans le sport de haut niveau gagner un titre majeur est une épreuve, confirmer sa domination relève de l’exploit. C’est pourtant le récit de cet aboutissement que j’aimerais vous proposer aujourd’hui. Une histoire qui, on l’espère, ravivera de bons souvenirs, compensant peut-être la déception subie après l’édition 2021 qui vient de s’achever.
Il y a 21 ans, lorsque les premières lueurs de l’Euro 2000 s’emblaient poindre, l’équipe de France apparaissait comme l’épouvantail de la compétition, alignant un effectif solide et expérimenté, capable de proposer du jeu comme de défendre. Articulée autour de certains des meilleurs joueurs de la planète comme Barthez, Blanc, Thuram, Vierra, Henry, Deschamps, Djorkaeff et autre Zidane, l’équipe semblait pouvoir dominer la concurrence sans trop éprouver de difficultés. Toutefois, et malgré son indiscutable force, il aurait été absurde de croire que la victoire finale s’obtiendrait si facilement.
Après une phase de qualification gérée de main de maître (à noter toutefois la défaite 3-2 face aux Pays-Bas lors du troisième match), les Bleus atteignirent les quarts de finale sans trop de difficultés, retrouvant les Espagnols dans un match qui s’annonçait largement à leur portée. Une confrontation attendue qui prit néanmoins les allures d’un piège dont il allait être difficile de s’extraire. Portés par un Zidane et un Youri Djorkaeff de gala, les Tricolores ont su se défaire des joueurs ibériques en s’imposant 2-1 dans un match qui a vu la Roja opposer une sacrée résistance.
Désormais qualifiée en demi-finale, l’équipe du sélectionneur Roger Lemerre dut s’employer de nouveau pour vaincre le Portugal. Les Lusitaniens possédaient une équipe redoutable, alimentée par l’une des meilleures générations de footballeurs que le pays ait produite. Luis Figo, Pedro Miguel Pauleta et Nuno Gomes posèrent de sérieux problèmes à la charnière tricolore. Rapide, agile et surtout douée techniquement, l’escouade portugaise s’est posée en sérieuse concurrente dans la conquête du titre européen. Ce n’est qu’au terme d’un match âprement disputé que la France put s’imposer, le sort de la rencontre ayant été soldé par un penalty de Zidane lors des prolongations. Le légendaire numéro 10 français, qui s’était encore une fois mué en sauveur, proposait cette année-là l’une de ses plus belles partitions en carrière, guidant les Bleus comme il l’avait si souvent fait. Ça y est, c’était fait, ils s’étaient qualifiés pour un match qui portait en lui autant d’espoirs que de craintes !
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> Surprendre pour marquer l’histoire :
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Au soir de ce 2 juillet 2000, le parfum de la finale venait enfin emplir le cœur des fans d’une irrésistible excitation tandis que les joueurs se préparaient à affronter la Squadra azzura (victorieuse des Pays-Bas à domicile en demie). Les tensions et les rivalités s’exacerbèrent un peu dans l’attente, excitées par le dénouement d’une histoire qui se rapprochait enfin. Italie – France, voilà une affiche qui sait électriser les foules dès son évocation. Deux sœurs ennemies, deux types de football opposés dans un spectacle qui se devait d’éclairer le monde du sport de sa beauté. Ce soir-là dans le stade de Feyenoord à Rotterdam, tous les regards étaient tournés vers ce petit carré vert entouré de lignes blanches, théâtre d’un affrontement qui allait entrer dans la légende. Les héros de ce récit entrèrent sur le terrain et le match débuta sous la clameur d’un public survolté par l’enjeu. Les Français, jusque-là irréprochables, eurent du mal à entrer dans leur match. Le jeu était pauvre et la défense italienne suffocante. Les Transalpins avaient préparé un piège tactique semblant faire déjouer les Bleus qui s’empalaient inlassablement sur un gardien dans la forme de sa carrière nommé Francesco Toldo. Le but italien était devenu une place forte, gardée par « il Toldone » (Toldo le grand) et entourée de murailles comme Cannavaro, Nesta ou encore Maldini. La Nazionale avait à l’époque basé sa stratégie de jeu sur le pragmatisme et la solidité défensive (ils n’avaient encaissé que 2 malheureux buts avant la finale). Des adversaires redoutables et redoutés qui prirent le contrôle du match peu de temps après le retour des vestiaires grâce à l’attaquant italien Marco Delvecchio qui donna l’avantage à son équipe à la 55e minute.
L’équipe de France venait de se piéger elle-même en laissant la Squadra azzura prendre un but d’avance. Une erreur souvent fatale à l’époque puisqu’elle permettait aux Italiens de mettre en place la célèbre tactique du catenaccio (signifiant « cadenas » cette stratégie consiste à verrouiller défensivement le match en multipliant les efforts et le nombre de défenseurs devant le but). D’ailleurs, plusieurs cadres de l’équipe de France ont reconnu plus tard leurs fébrilités dans cette rencontre : « L’approche de l’Italie a été meilleure que la nôtre dans cette finale. On se sentait désarmé, impuissant, on n’arrivait pas à jouer notre football et encore moins à dominer. » Bixente Lizarazu, « Ils étaient bien en place, ils ne sortaient pas et défendaient admirablement. Ils ont fait un match incroyable tactiquement. » Youri Djorkaeff. Les minutes comme les espoirs de victoire s’égrainaient peu à peu et les Bleus semblaient incapables de réagir contre cette défense de fer. Le silence se faisait de plus en plus pesant sur le clan français pendant que les Italiens célébraient leur courte victoire sur le bord du terrain. Pour l’anecdote, les remplaçants azzuri étaient même en train de narguer les Bleus depuis le banc, prêts à envahir le terrain dès le coup de sifflet final. C’est alors que, piqué dans son orgueil, le sélectionneur Roger Lemerre a décidé de bouleverser le déroulé du match de trois brillantes inspirations. Il fit d’abord entrer Silvain Wiltord à la 58e minute, puis David Trezeguet à la 76e et enfin Robert Pirès à la 86e minute, des choix à première vue anodins mais qui se sont avérés d’une importance capitale pour la suite.
La fin du match fut marquée par les nombreuses tentatives des Tricolores qui butèrent inlassablement sur le catenaccio adverse. Nous sommes alors à la 93e minute de la rencontre et seul un miracle pouvait encore permettre à la France de recoller au score. Le scénario prit une nouvelle forme quand la balle se retrouva, tant bien que mal, dans les pieds de Fabien Barthez qui dégagea son camp en direction de la surface adverse. Le ballon traversa l’entièreté du terrain et arriva miraculeusement dans les pieds de Silvain Wiltord après avoir été dévié de la tête par David Trezeguet. Malgré sa surprise, le jeune remplaçant fit preuve d’un surprenant sang-froid, déclencha une frappe rasante au second poteau et Toldo fut enfin vaincu. Les filets tremblèrent et le stade se tut quelques instants avant de se laisser submerger par un intense soulagement. Ce fut un véritable tourbillon d’émotions : l’envie de gagner, la frustration et la joie d’un espoir retrouvé se mêlèrent, balayant les craintes françaises pour laisser place à la prolongation. « Après que Silvain (Wiltord) ait égalisé, je n’avais plus aucun doute sur le fait que nous allions gagner » Lilian Thuram. Un geste simple et précis, prémices d’un instant où l’histoire allait s’écrire. Les premiers mots d’une légende que l’on prend encore plaisir à raconter aujourd’hui. Grâce à cette action venue d’ailleurs, l’histoire allait donc continuer de s’écrire en prolongations, motivée par un tableau des scores qui affichait 1-1 quand sonna la fin du temps réglementaire.
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> Le but en or :
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Ils l’avaient fait ! Ils avaient repris le contrôle d’un match au scénario aussi dramatique que dantesque et les champions du monde semblaient n’avoir jamais été aussi forts qu’à cet instant. Surmotivés par l’enjeu, la fatigue n’avait plus aucune emprise sur eux. À l’inverse, les Italiens paraissaient encore abattus par ce qui venait d’arriver, errant sur le terrain à la recherche d’une énergie perdue. La période de prolongation la plus importante de l’histoire du football français était sur le point de commencer, mais avant de conclure notre récit, il nous faut toutefois évoquer une dernière subtilité de cette compétition afin de mieux se figurer la tension qui entourait les joueurs avant de retourner sur le terrain. À l’époque, les compétitions internationales étaient régies par une règle simple, créatrice de nombreux scénarios épiques, le but en or. Cela signifiait que la première des deux équipes qui allait inscrire un but dans cette prolongation allait être sacrée championne d’Europe. Comme vous pouvez donc l’imaginer, l’ambiance dans le stade de Feyenoord était aussi lourde que bruyante, partagée entre l’excitation du dénouement et la crainte de voir son équipe échouer si près du but.
Le jeu reprit alors et la domination était clairement française. Le ballon circulait bien et les actions de grande classe s’accumulaient dans l’espoir d’inscrire le but salvateur qui enverrait les Bleus sur le toit du football européen. Les musiciens de l’orchestre français s’accordèrent entre eux et la partition qui se jouait à ce moment sonnait magnifiquement tandis que s’amorçait un final en apothéose.
À la 104e minute, Robert Pirès récupère le ballon et s’avance seul face à une armée de défenseurs italiens. Le joueur d’Arsenal déborde sur son côté gauche, élimine ses adversaires un à un grâce à des gestes chaloupés, son incroyable chevauchée ne s’achevant que lorsqu’il réussit à s’immiscer dans la surface adverse. Puis, fixant l’Italie toute entière, il déclenche un dernier crochet qui lui donne l’espace nécessaire pour délivrer un centre en direction du point de penalty. À cet instant, le temps semble vouloir freiner sa course jusqu’à s’arrêter, les respirations se coupent une à une, les mains deviennent moites et les cœurs s’accélèrent. Le ballon de la victoire est suivi pendant toute sa course par les yeux d’un pays qui s’est figé l’espace de quelques secondes. Les adultes comme les enfants espèrent sans trop y croire atteindre l’heureux dénouement de cette histoire. C’est alors que David Trezeguet décide d’effectuer un geste fou. En effet, d’une reprise de volée légendaire il crucifie le gardien italien en faisant trembler les filets une dernière fois. Une frappe aussi pure que soudaine, un véritable bijou qui délivra les supporters de leur attente. Le stade fut d’abord subjugué puis il se mit à exulter, criant sa joie comme un seul homme.
La France était championne d’Europe après avoir été championne du monde deux ans plus tôt. Le jeune attaquant se retrouva submergé par l’émotion, enleva ainsi son maillot en le secouant dans tous les sens comme pour témoigner de son exploit et s’en alla rejoindre ses partenaires pour communier avec eux. Les Bleus se prirent dans les bras les uns les autres à l’instar des supporters français qui faisaient de même. L’équipe de France de l’Euro 2000 semblait ne pas vouloir encore se rendre compte qu’elle venait de marquer l’histoire du football, car à ce moment-là, la seule chose qui comptait était de laisser éclater sa joie. Une joie douce et partagée que l’on prend encore plaisir à raconter 21 ans après.
« Bien souvent, on aime expliquer le football avec des théories tactiques, mais à un moment donné, il y a des joueurs qui déclenchent des actions parce que dans leur tête il s’est passé quelque chose et ça change le cours d’un match. Parfois même, ça change le cours d’une histoire. » Bixente Lizarazu
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Voilà j’espère que vous avez pris plaisir à découvrir ou à redécouvrir ce match au scénario hitchcockien. Malgré le temps que cet article m’a demandé, j’ai adoré vous raconter cette histoire. Une belle histoire pleine de rebondissements et de nostalgie.
Un article écrit en collaboration entre Tomas Jeusset et Louis Rousseau (journaliste pour We Sport). Si vous voulez retrouver le premier article de la série il vous suffit de cliquer sur L’essence de la gloire (n°1) : Chicago with the lead.
Super article ! On s’y croirait !
Merci beaucoup, ça me fait vraiment trop plaisir. C’est beaucoup de travail, mais ça vaut le coup je pense.