Le Rugby est une discipline qui a longtemps échappé à mon intérêt et c’est bien dommage. C’est un sport que je suppose être magnifique puisqu’il doit probablement avoir écrit sa propre mythologie au rythme de ses compétitions, du temps et de ses exploits. Il s’agit, sans l’ombre d’un doute, de l’un des sports les plus populaires du monde, d’une véritable institution et d’un plaisir partagé par un grand nombre de personnes à travers la France. À l’instar des autres sports qui ont construit mon imaginaire, de nombreuses légendes de ce jeu ont dû alimenter son récit en le parsemant de jolies histoires. Jonah Lomu, Jonny Wilkinson, Serge Blanco, Dan Carter, Antoine Dupont et consorts, sont autant de héros qui ont dû émerveiller les foules grâce à des gestes fous. Des athlètes qui prouvent aisément que l’Ovalie a une histoire complexe dont malheureusement, je ne connais pas bien les personnages.

Alors, pour faire face à mes lacunes, j’ai décidé d’interviewer des acteurs quotidiens de la balle ovale afin de vous proposer un article de qualité, afin que la passion qu’ils dégagent se transforme en enthousiasme collectif. J’ai donc eu l’opportunité de rencontrer de grands passionnés qui, le sourire constamment affiché sur leurs visages, ont gentiment pris le temps de me raconter la façon dont le rugby se décline en Bretagne. Un échange vraiment intéressant avec les dirigeants du Rugby Olympique Club de Bruz où l’on a tenté de comprendre le fonctionnement d’un club local, ses projets et ses ambitions. Il s’agit d’une discussion qui nous a entrainés vers des sujets inattendus comme la relation entre le sport et la pédagogie, entre le rugby et l’école, entre une passion et l’investissement qu’elle demande. Alors, installez-vous confortablement, munissez-vous d’une boisson chaude et profitez d’un article qui, on l’espère, vous plaira autant qu’à nous.

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> Les présentations :

Présentez-vous. Quel est votre rôle au sein du Rugby Olympique Club de Bruz et depuis combien de temps ? Dites-nous aussi depuis quand faites-vous du Rugby et d’où vous est venue cette passion ?

Julien Gomez « Pour me présenter brièvement :  je m’appelle Julien Gomez, je suis le responsable du sportif dans le Rugby Olympique Club de Bruz et l’entraineur de l’équipe sénior. J’ai été recruté par le ROC, afin de développer un projet sportif et j’ai tout de suite été emballé par l’ambition du projet autour de ce club. » « En ce qui concerne mon amour du Rugby, j’ai toujours été mordu, car je suis tombé dans le biberon rouge et noir du stade toulousain à seulement 8 ans. C’est une passion qui ne m’a jamais quitté. »

Hugo Mattes – « Je suis au club depuis 2012 et on m’a engagé pour être le responsable du pôle jeune pour les équipes de moins de 14, moins de 16 et moins de 19 ans, dont je suis aussi l’entraineur. » « Je suis tombé amoureux du Rugby lors de la demi-finale France vs Nouvelle-Zélande pendant la coupe du monde 2007. Après avoir vu ce match, j’ai tout de suite été convaincu du fait que je voulais faire du Rugby. »

Emmanuel Mattes« Pour ma part, je m’appelle Emmanuel et je suis responsable administratif du centre d’entrainement du ROC de Bruz. Mon job est de faire que « la machine tourne bien » « Ce qui me motive au quotidien pour faire ce que je fais, c’est ma passion pour ce sport. J’aurais pu me passionner pour n’importe quoi d’autre mais, sans que je puisse trop expliquer comment, ça a toujours été le Rugby ».

Depuis combien de temps ce club existe-t-il et comment s’est-il développé ?

« Le ROC de Bruz a été créé en 1973. Il s’agit d’un club qui évolue depuis de nombreuses années en division honneur (soit une division régionale), toujours en milieu ou haut de tableau de cette catégorie. Toutefois, depuis le recrutement de Julien (Gomez) il y a 3 ans, on affiche un objectif clair : celui de monter en Fédérale 3 (division inter-régional). Et enfin, au terme d’une magnifique saison 2021-2022, nos espoirs se sont accomplis et nos efforts ont été récompensés puisque notre équipe sénior a été promue en Fédérale 3 pour la saison prochaine. C’est une véritable victoire pour ce club, un grand pas en avant qui nous conforte dans nos ambitions. »

Est-ce qu’il y a un plan de jeu global, une vision du Rugby qui serait appliqué à toutes les équipes de la même façon ou chaque équipe construit sa propre identité ? :

Julien Gomez – « On a développé un projet de jeu pour les séniors et on l’a ensuite décliné en projet pédagogique pour nos jeunes de l’école de Rugby. Notre point fort, c’est le jeu « libre » puisque c’est une philosophie qui laisse beaucoup de place aux initiatives des joueurs, tandis que notre « marque de fabrique » c’est le duel, donc franchir et faire franchir. Pour faire un parallèle avec ce qui se fait à haut niveau, on s’inspire plus de ce qui se fait du côté de Toulouse  que du côté de Castre. » – « On essaye de se détacher de l’image du rugby d’il y a 10 ans, où le contact et la force pure étaient au centre de tout. Aujourd’hui, on essaye d’éviter la confrontation directe en privilégiant le jeu debout. »

Si vous aviez des points forts à retenir dans l’organisation du ROC ?

Emmanuel Mattes« Sans langue de bois, notre point fort actuellement, c’est la masse salariale débloquée par le club et toute la connaissance technique qui est apportée par les « nouveaux »salariés. En effet, on a mis en place, à la tête du pôle jeune, des pros. Ce ne sont plus des bénévoles ou des parents qui gèrent ces aspects. Maintenant, ce sont des gens qui ont des diplômes et des compétences liées au rugby qui vont bien au-delà de ce que je pouvais apporter lorsque j’étais éducateur pour le club ».

Si vous aviez des points faibles à retenir ?  

« Nos points faibles, quant à eux, sont structurels.  Dans le sens où on a un gros déficit d’infrastructures et le problème, c’est qu’il s’agit d’un aspect que l’on ne maitrise pas. En effet, il nous manque un terrain, on n’a pas de tribunes, ni tableau de score numérique, on est en manque de vestiaires, etc. »

Êtes-vous satisfait de la saison de votre équipe ? 

Hugo Mattes« Pour ce qui est des séniors, on est plus que satisfaits puisque l’on a atteint notre objectif principal : monter en Fédérale 3. Pour les jeunes c’est la même chose, car les moins de 16 ans ont fini champion de Bretagne, tandis que les moins de 19 ont atteint les demi-finales du championnat inter-ligue (un championnat qui comprend la Bretagne, la Normandie, le Centre et le Pays de la Loire). »

Quels sont les atouts des rugbymen par rapport aux autres athlètes ?

Hugo Mattes« Ce que j’ai tendance à dire aux jeunes, c’est : qu’ils soient gros, minces, grands ou frêles, on va forcément avoir besoin d’eux. En effet, selon ton profil, tu peux développer plein de qualités techniques et physiques qui, grâce à ta différence, te rendront utile sur le terrain. »

Si quelqu’un voulait se lancer demain dans le rugby, que devrait-il faire et quelle serait la meilleure mentalité à adopter avant de commencer ? Et surtout, qu’est-ce que cette discipline pourrait lui apporter ?  

Julien Gomez – « Des potes, un cadre et du fun tout simplement. L’avantage du rugby, comme l’a dit Hugo, c’est que peu importe qui tu es, tu trouveras ta place, car tous les profils se valent. Malgré tout, ça reste un sport compliqué, notamment en termes de règles, donc il faut s’accrocher au début, mais une fois que l’on dépasse l’appréhension de ne pas tout comprendre, ça passe tout seul. »

Hugo Mattes« Il faut venir dans un état d’esprit naturel, sans se prendre la tête. Un Short et un T- shirt ça fait très bien l’affaire. Je pense que les personnes qui s’inscrivent au rugby vont trouver de vrais copains avec qui passer un bon moment en se dépensant par la même occasion.  Un des autres gros points forts du rugby est aussi qu’ici, il n’y a aucune classe sociale parce que, contrairement à d’autres sports, une fois que l’on est dans la boue il n’y a plus de différence. »

Est-ce qu’il existe une ligne directrice qui guide tous les projets, un fil directeur pour les aspects sportifs, sociaux ou pédagogiques du ROC de Bruz ?  

Emmanuel Mattes – « Quelque chose qui est très prégnant au club de Bruz, c’est le côté social. Tout le monde est le bienvenu et pour nous, c’est très important. C’est quelque chose que l’on met beaucoup en avant parce que peu importe l’âge ou le niveau social que tu as : sur un terrain de rugby comme dans le club, il n’y a aucune différence. Au ROC, il y a certes une importance de la compétition, mais on reste très ouverts. On ne fait pas que de l’élitisme. »

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> La philosophie du club :

Le Rugby Olympique Club de Bruz a récemment porté un très gros projet : créer un centre d’entrainement. Quand ce centre a-t-il été créé ?

 « Le projet a été réfléchi à partir de 2020-2021, une opération  complexe qui a nécessité une réflexion d’un an et entre 40 et 50 000 euros afin de construire une structure qui soit en accord avec les valeurs, les moyens et le développement du ROC de Bruz. Un travail de longue haleine qui a permis au centre d’entrainement de voir le jour en septembre 2021. »

Est-ce que vous pensez que la création d’un centre d’entrainement peut vous aider à devenir plus compétitifs dans le futur ?

Julien Gomez – « Le centre d’entrainement est un projet qui a été créé pour nous aider. Après, si on envoie certains joueurs pour qu’ils aillent jouer à un niveau supérieur, ça serait une belle publicité pour notre formation comme une plus-value pour notre travail. Toutefois, la première de nos priorités reste de former des jeunes pour qu’ils jouent à Bruz afin que le club puisse continuer à progresser. »

Quel est le projet sportif autour du centre d’entrainement ? Quels sont les aspects que vous cherchez à développer en priorité ?

Julien Gomez « On se concentre sur le développement individuel des joueurs en leur apprenant les spécificités de chaque poste selon leur profil. On les prépare physiquement et, dans le même temps, on les éduque sur les aspects tactiques du rugby. On essaye de proposer un « bon développement musculaire » pour les joueurs, en respectant leur croissance. »

Le Roc de Bruz base-t-il son effectif sur la jeunesse ?

« Ouais, en grande partie. Par exemple, dans l’équipe sénior d’aujourd’hui, si on enlève notre doyen de 49 ans, l’équipe a 26 ans de moyenne d’âge. Le développement du club se base sur une recherche de jeunes joueurs plutôt que sur des « anciens » pour l’année prochaine. »

L’une des valeurs principales du club est « le respect » de l’adversaire comme du coach ou des arbitres. Est-ce que c’est facile d’inculquer cela à des équipes de jeunes ?

Julien Gomez – « N’importe quel joueur du ROC, peu importe son âge, nettoie son vestiaire lorsqu’il le quitte. Et, tout aussi importants, l’arbitre comme le coach et les éducateurs sont également respectés. »

Hugo Mattes « Par rapport au respect, pendant les stages, on garde tous les jours 1h/ 1h30 pour discuter d’un thème précis. Par exemple, on leur demande de toujours dire « bonjour, s’il vous plaît, merci et au revoir » à chaque personne qu’ils croisent dans le club ou en dehors. On leur a aussi inculqué de laisser les vestiaires propres après chaque match ou entrainement. Pour moi, le respect et l’ouverture sur les autres sont deux choses qui vont ensemble et qui se complètent. » – « On aborde beaucoup de sujet avec les jeunes, notamment, le harcèlement sexuel, moral ou physique. Ce sont des sujets difficiles et pour leur faire comprendre la gravité des choses, on les a incités à faire des dessins qui dénoncent cela, ensuite on  les a placardés dans les murs des vestiaires. De toute façon, dans le sport de manière générale, il est inadmissible de manquer de respect à qui que ce soit. »

Sur votre site http://www.rocbruz.org/home.html, on trouve cette phrase : « Je suis un rugbyman sur le terrain et en dehors ». Est- ce que vous pouvez me dire ce que vous entendez par là ?

« C’est une philosophie que l’on inculque aux jeunes. En effet, c’est inconcevable de ne dire bonjour que lorsqu’on vient au rugby, il faut avoir la même attitude polie lorsque l’on est dans le cadre du club que lorsque l’on croise quelqu’un dans la rue. Ils se doivent de respecter ces simples règles de vie, car à l’extérieur ils représentent le ROC et le centre d’entrainement. Aujourd’hui, le rugby  a une bonne image, mais on revient de loin, car pendant longtemps ça n’était pas du tout le cas. »

Comment transmettez-vous concrètement la philosophie du club aux jeunes  du centre d’entrainement ?

Hugo Mattes « Ce sont des choses  qui se transmettent au quotidien. Comme on voit ses jeunes tous les jours, la philosophie se transmet  de façon plutôt informelle avec de simples discussions. Par exemple, lorsqu’ils prennent 3 grosses défaites d’affilées, on va les voir pour discuter un peu avec eux, pour savoir comment ils l’ont vécu et comment ils se sentent. On ne fait pas que du Rugby parce que parfois, ça n’est pas le plus important. »

Julien Gomez – « Vu leur âge, on essaye de leur inculquer des principes de jeux et des règles de vie plutôt que  de lourds schémas tactiques et des règles strictes. On ne veut pas les faire chier, ça n’est pas notre but. »

Hugo Mattes« Les jeunes du centre d’entrainement nous considèrent comme des grands frères. Avec nous, ils n’ont aucun tabou et ils se livrent facilement. Que ce soit pour parler des problèmes qu’ils rencontrent à l’école, à la maison, des copains/copines ou dans la vie de tous les jours. »

Julien Gomez – « Quand ils sont au club, ils sont dans un autre cadre et donc ils sont plus ouverts. Pour certains, c’est même plus facile de parler avec nous que dans leur cocon familial.  Lorsqu’ils ont besoin de parler, on essaye de prêter une oreille attentive et bienveillante. » – « Ce sont un peu nos enfants, on crée des relations profondes et qui durent dans le temps. Ils se sentent à l’aise avec les gens qui les encadrent, que ce soit les coachs, les intervenants ou les bénévoles, mais, et c’est peut-être le plus important, ils tissent des liens étroits avec leurs coéquipiers. Une véritable amitié peut naître puisqu’ils sont plus souvent entre eux que dans leurs familles. »

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> La pédagogie rencontre le rugby.

Comment se passe l’aide au devoir ? Est-ce que vous avez formé des gens pour cela ?

Emmanuel Mattes – « On a recruté deux intervenants cette année, Fabien et Edith, ils sont très forts dans ce qu’ils font. L’objectif de l’aide au devoir est de  permettre aux enfants de se dégager du temps dans leur journée. Quand ils arrivent au club, ils font leurs devoirs et après ils peuvent aller s’entrainer ce qui permet d’éviter qu’ils aient une surcharge de travail lorsqu’ils rentrent à la maison. En revanche, s’ils n’ont pas fini leurs devoirs avant l’entrainement, c’est à eux d’être assez matures pour nous le dire. On essaye de les responsabiliser pour qu’ils nous disent « je n’ai pas fini mes devoirs donc je reste en étude jusqu’à ce que ça soit le cas. »

Est-ce que c’est facile d’associer le sport et l’école ?

« C’est relativement facile puisque c’est du gagnant-gagnant. Pour nous, la priorité reste que tout aille bien à l’école pour les enfants. On est content lorsqu’ils ne rencontrent pas de problème au niveau de leur scolarité et une fois que ça, ça roule, le sport devient un défouloir, une récompense même. Je pense qu’ils ont compris qu’on ne cherchait pas à les emmerder mais, au contraire, à les aider. On se contente de mettre en place un cadre et une méthodologie pour leur faciliter la vie, pour qu’ils puissent allier leur passion et leur réussite. »

Hugo Mattes« Ce qui m’impressionne, c’est que si l’on prend l’exemple des 11 – 14 ans, quand ils ont permanence au collège, ils prennent de l’avance sur leurs devoirs pour aller plus vite à l’entrainement le soir. Et ça, c’est incroyable parce qu’ils ne le faisaient pas avant. Je me rappelle que, quand j’étais à leurs places, moi je ne le faisais pas. Je considérais les permanences comme une récréation. » dit-il avec un sourire sous le regard complice de Julien Gomez.

« C’est fou, eux ils se disent « je vais bosser pour pouvoir faire le plus de Rugby possible ».

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Pour conclure cet interview, je pense qu’une phrase du directeur sportif résume parfaitement l’esprit du ROC de Bruz. « On est en train de faire rentrer le club dans une nouvelle dimension, en se professionnalisant et en formant les jeunes pour les pérenniser au  sein de l’organisation. Le ROC m’a recruté pour que l’on arrive à la place que l’on mérite. Ça peut paraitre arrogant, mais on est convaincu de nos capacités et notre image change petit à petit auprès des autres. Avant on était considéré comme une bonne équipe de 3e mi-temps tandis qu’aujourd’hui on nous prend  plus au sérieux grâce à tous les projets qu’on a mis en place. Le changement de notre image est aussi venu à la suite de bons résultats sportifs puisque l’équipe sénior a atteint les demi-finales de la division honneur et jouera en Fédérale 3 l’année prochaine. C’est un club qui grandit bien, sur tous les aspects, que ce soit sportivement,  structurellement, pédagogiquement ou autre et aujourd’hui, le ROC est un club qui fait parler autant qu’il fait peur. » Je dois avouer avoir pris un grand plaisir à travailler avec ce club, l’ambiance est saine et les gens passionnés. C’est un cadre qui, malgré le fait qu’il me soit inconnu, me donne envie d’en apprendre plus sur le rugby. J’espère découvrir les héros qui ont fait sa légende comme les clubs qui le font vivre partout, car leur passion est communicative et leur histoire, digne d’être lue.

Merci à Lucas. Un article de Tomas Jeusset.

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