Décriée par la presse et réduite à son rôle de mère au foyer, la sprinteuse néerlandaise a remporté quatre médailles d’or lors des Jeux olympiques de Londres en 1948. Trash talk, revanche et engouement, retour sur l’histoire d’une légende qui a écrasé la concurrence.
En juillet 1948, un journaliste britannique écrit : « Fanny Blankers-Koen est trop vieille pour courir. Elle aurait dû rester chez elle à s’occuper de ses enfants ». La championne de 30 ans ne laisse pas passer l’affront : « Lorsque je suis arrivée à Londres pour les Jeux olympiques, je l’ai montré du doigt en lui disant que j’allais lui en faire voir de toutes les couleurs ». En août, son cou était orné de quatre médailles, toutes en or.
Déjà auréolée de deux titres de championne d’Europe glanés à Oslo en 1946 et de quatre records du monde établis pendant la Seconde Guerre mondiale, Fanny Blankers-Koen arrive prête à dominer Londres. Grande, longiligne, résistante et dotée de muscles élastiques, la native de la province d’Utrecht (Pays-Bas) a le physique de la sprinteuse idéal.
Pourtant, la trentenaire ne jouit pas des mêmes égards médiatiques que ses trois concurrentes de vingt ans : Dorothy Manley, Audrey Williamson ou Maureen Gardner. Ramenée sans cesse à son âge et à son rôle de mère de deux enfants au foyer, elle est qualifiée de « ménagère » ou de « mère indigne » par les spécialistes de l’époque qui ne croient plus en ses chances de victoire.
« La première grande championne des Jeux olympiques modernes »
Le stade Wembley se mue en théâtre d’une domination sans partage. Le 2 août, Fanny Blankers-Koen remporte sa première médaille d’or sur 100 mètres. Une victoire facile pour la recordwoman de la discipline qui s’impose largement devant la Britannique Dorothy Manley. Chaussée d’une paire de baskets noires et d’un maillot orange, elle semble voler sur la piste battue par la pluie et balayée par le vent. Le lendemain, l’épreuve du 80 mètres haies s’avère beaucoup plus serrée. La sprinteuse hollandaise termine dans le même temps (11,2 s) que sa rivale anglaise, Maureen Gardner. Seule la photo-finish la déclare victorieuse.
Les railleries médiatiques cessent de paraître dans les journaux au fil de ses performances. Dans les kiosques, son nom est toujours associé au terme de « ménagère », mais on y accole peu à peu l’adjectif « volante ». Jean-Christophe Rosé, réalisateur du documentaire L’Odyssée des Jeux olympiques, déclarait en 2021 dans une interview accordée au HuffPost : « Elle est la première grande championne des Jeux olympiques modernes ».
La meilleure athlète féminine du XXe siècle
La « ménagère volante » prouve encore sa forme olympique le 6 août. À l’approche de la finale du 200 mètres, elle a des doutes. La trentenaire supporte mal le battage qui l’entoure. Malgré sa fatigue, son mari et entraineur, Jan Blankers, la convainc de courir pour l’histoire. Une bien belle idée ! Sur sa discipline fétiche, Fanny réalise une course parfaite et devance de sept dixièmes de secondes sa dauphine, Audrey Williamson. Trois sur trois.
Enfin, le 7 août, la Néerlandaise participe à la finale du relais 4 x 100 mètres avec son équipe nationale. Dernière relayeuse, elle aborde les 100 derniers mètres en 3ᵉ position. Mais, portée par l’allant de la foule et l’élan de ses jambes qui ne semblent plus s’arrêter, elle reprend des mètres, foulés après foulées, et mène son équipe sur la première marche du podium. La Hollandaise volante parachève son exceptionnelle olympiade en levant les bras face au public qui ne l’aimait pas à sa juste valeur et qui l’acclame maintenant.
« Je n’ai fait que courir vite, je ne vois pas pourquoi les gens en font tant d’histoires ».
Après les jeux, elle rentre au pays. Là, Fanny est accueillie par une marée de supporters bataves. Assise dans une calèche tirée par quatre chevaux blancs, la quadruple championne olympique défile dans les rues de la capitale sous les acclamations de foule. « Son retour au pays constitue l’un des souvenirs qui font partie de la mémoire collective de notre pays. Tous les habitants d’Amsterdam étaient dans les rues et tout le monde aux Pays-Bas connait son histoire », confiait l’un des entraineurs d’athlétisme néerlandais les plus reconnus, Charles van Commenee, dans une interview accordée au Comité national olympique.
Du haut de son attelage, elle aurait déclaré : « Je n’ai fait que courir vite, je ne vois pas pourquoi les gens en font tant d’histoires. » Pourtant, Fanny Blankers-Koen est une quadruple championne olympique dont l’histoire mérite d’être racontée. Une héroïne de celles qui font chavirer les foules par leurs exploits. Une mère de famille qui a continué de s’entrainer et d’établir des records pendant la Seconde Guerre mondiale. Une battante qui a été conspuée par la presse, cantonnée à son rôle de mère, de femmes et de second couteau de l’histoire du sport. Alors, pour rétablir l’injustice, la Fédération internationale d’athlétisme la nomme meilleure athlète féminine du XXe siècle en 1999.
Une belle réponse à un journaliste qui, cinquante ans plus tôt, avait conseillé à la Hollandaise volante de « rester chez elle à s’occuper de ses enfants ».
Article de Tomas Jeusset