Jean-Claude Denis (au centre, balle au pied), devant l’équipe de Rennes Sciences en 1980. © RAB

« J’ai passé mon enfance à jouer au foot. Il n’y avait que ça qui m’intéressait. Que ça.

Quand j’étais petit, dans les années 50, j’allais à l’école uniquement pour la récré et nos parties avec des balles de tennis sous le préau. Le midi, je rentrais dans ma rue, Jeanne Couplan à Rennes, et une porte de garage sur un terrain en construction me servait de but. Une pancarte avait été collée dessus : « Ne pas jouer au ballon contre cette porte. » Il y avait des impacts de balle en caoutchouc tout autour ! Dès la fin des cours, je fonçais retrouver les copains dans une impasse en terre battue pour dribbler avec des marrons. Maman n’était pas contente. Je pelais toutes mes godasses, j’arrivais en retard et les devoirs en prenaient un coup. Je jouais tout le temps, c’était mon truc quoi. Chez mes parents, je confectionnais une boule avec du journal et du scotch. Je traversais notre petit appartement de long en large pendant des heures, une balle de fortune collée au pied gauche. Je faisais ça sans arrêt. C’était très difficile de me prendre le ballon grâce à cette inlassable répétition.

« C’est moi quand j’étais tout petit chez mes parents à Rennes (Ille-et-Vilaine). »

Je suivais déjà le Stade Rennais à l’époque. J’allais aux matches avec le voisin de mes parents, M. Élouvris. C’était aussi un acharné de foot. J’assistais aux trois quarts de la saison avec lui. On parcourait à pied le chemin jusqu’au stade de la route de Lorient. Ça faisait une trotte. Quelques fois, quand on était en retard, on faisait du stop. C’était un loisir accessible parce qu’on ne s’asseyait pas dans les gradins. On suivait la rencontre debout dans les tribunes populaires. Ça me convenait bien. À neuf ans, en 1960, j’ai eu ma première licence chez les Cadets de Bretagne. Il y avait des terrains, des vestiaires, des éducateurs, bref de belles infrastructures pour l’époque. Je m’amusais beaucoup, mais j’ai dû arrêter à quatorze ans pour commencer un apprentissage de tôlier-carrossier. 63 heures de travail par semaine, six jours sur sept, entre 1965 et 1971. J’étais un gamin et on m’en demandait beaucoup. Je n’avais plus de temps pour le football, j’étais trop fatigué. Je voulais juste dormir le dimanche.

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Tout a changé avec l’armée. À vingt ans, j’ai effectué mon service militaire dans le 9ᵉ régiment de parachutistes près de Toulouse. Du sport et des armes, on était de la chair à canon. Comme on n’avait pas le droit de sortir le soir, on jouait au foot entre nous pour passer le temps. J’ai découvert le poste d’attaquant de pointe et je ne l’ai plus jamais lâché. En sortant de la caserne, en fin 1972, j’étais en forme à 100%, ce qui m’a aidé sur les terrains.

L’équipe de la carrosserie Pelpel de 1973. © Photo prise par Gérard, le beau-frère.

Dès mon retour de l’armée, en 73, j’ai sauté sur l’occasion de me remettre au foot. J’ai joué deux saisons avec l’équipe de la carrosserie Pelpel de Noyal-sur-Vilaine, où travaillait Gérard, celui qui est devenu mon beau-frère la même année. On jouait ensemble en promotion de première division corporative (deuxième division) où s’affrontaient les gars des grosses boites du coin, comme Citroën, les pompiers, la Sécu, Ouest-France, …

Rapide et costaud, j’étais un bon attaquant de pointe. J’aimais marquer des buts. Je ne vivais que pour ça. En revanche, seul mon pied gauche était utile. Mon pied droit, lui, me servait à monter dans le bus. Je me suis beaucoup inspiré du grand buteur allemand des années 70, Gerd Müller. J’adorais sa façon de se déplacer et de trainer dans la surface adverse comme un renard. On avait à peu près le même jeu, mais absolument pas le même niveau. (Rire) Dans un match de fin de saison, je me suis particulièrement illustré contre l’une des grosses entreprises du championnat corpo : Rennes Sciences. Après la rencontre, un des mecs d’en face m’a dit : « Tiens, tu ne voudrais pas venir jouer chez nous ? », j’ai accepté.

« Cette photo a été prise lors du tournoi corpo de Rennes Sciences 1979. C’était un gros évènement, il y avait 120 équipes. Et vous l’avez gagné ? Bah Oui. » © RAB

En fin 75, j’ai décrocher un poste d’agent d’entretien à l’Université de Rennes 1 et j’ai intégré la formation corpo de Rennes Sciences. L’équipe était composée de membres du personnel et de chercheurs. C’est la plus forte équipe que j’ai connue, de loin.

Notre gardien, Sylvain Marbach était mécano. Notre défenseur, Émile dit « Mimil » Rousseau était électricien. Jacques Kergoat, lui, était biologiste et formait un superbe milieu avec René Le Guellec, chercheur en zoologie et Roger Fournier, prof d’allemand. Avec eux, je m’éclatais sur le terrain. Jouer devant un gars comme René, ancien de troisième division, c’était du bonheur. Un tout petit gabarit doué d’une vision de jeu merveilleuse. C’était un meneur de jeu terrible avec du football plein les pattes et un mec adorable à côté. Notre entraîneur aussi était un super ! Avec Roger Fournier aux commandes, les entraînements sont devenus très sérieux et on a gagné deux coupes de l’Ouest corpo d’affilée en 79 et 80.

« Sur cette photo, on me voit marquer mon premier but en finale de la coupe de l’Ouest 1980. » © RAB

Le foot paraissait facile à leurs côtés. Pour donner un exemple, on a gagné notre deuxième finale de coupe de l’Ouest corpo contre Citroën en 1980. Une très grosse équipe à l’époque. En première mi-temps, j’ai inscrit un but de la tête, puis une magnifique retournée dans la lucarne. Au retour des vestiaires, le gardien de Citroën a raté sa relance et je n’ai eu qu’à pousser le ballon dans les filets. Pouf, triplé. Citroën en a pris cinq dans la musette. Je plantais des buts à la pelle : deux ou trois par matches et environ une cinquantaine par saison. J’avais trente ans, j’étais au top de ma forme et de mon jeu, ce qui m’a valu d’être convoqué comme attaquant de l’équipe de l’Ouest corpo.

« Elle était mal faite cette équipe de l’Ouest. On a toujours patouillé. »

L’équipe de la ligue de l’Ouest corpo, constituée des meilleurs joueurs des entreprises bretonnes, a été le plus haut niveau dans lequel j’ai évolué. Peut-être aussi l’une de mes plus mauvaises expériences. On n’a jamais rien réussi à faire ensemble. On était convoqué le samedi matin pour jouer l’après-midi. C’était n’importe quoi. Une fois, ils nous ont même fait le coup de nous convoquer un vendredi soir et de nous enfermer dans un hôtel. Enfin, ils croyaient qu’ils nous avaient enfermés. (Rire) On jouait le dimanche au Stade Rennais contre la ligue de l’Atlantique qui nous a mis une raclée.

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Je souhaitais arrêter après trois ans de bons et loyaux services, mais la direction m’a fait comprendre : « Tu joues ou tu es suspendu. » Alors, j’ai continué. J’ai fini capitaine dans un match à Lorient. Le gardien et moi, on s’est télescopés après trente minutes. Hosto, neuf points de suture au genou et terminé l’équipe de l’Ouest. Ça m’a soulagé, je ne retrouvais pas les moments de rigolades qui me plaisaient.

« C’est l’équipe de Thorigné lors du déplacement à Janzé en 32e de finale de coupe de l’Ouest 79. »

Rennes Sciences a été la meilleure formation dans laquelle j’ai joué, l’équipe de l’Ouest corpo le plus haut niveau où j’ai évolué. Mais la meilleure ambiance que j’ai connue reste celle de notre village de 4 000 habitants : Thorigné-Fouillard situé au nord-est de Rennes.

En 1978, on a emménagé dans une longère avec Lisette et on voulait rencontrer les gens du patelin. Alors, j’ai signé avec l’Entente Sportive de Thorigné-Fouillard en promotion de première division district, soit la huitième division. J’ai joué en double licence pendant deux saisons : le samedi avec Rennes Sciences et le dimanche avec Thorigné. Le contraste était drôle. Dans le complexe de la fac à Beaulieu, on avait des vestiaires et des douches chaudes. À Thorigné, on s’entrainait sur le vieux terrain de Poprune. La pelouse était sèche l’été et se transformait en marécage l’hiver. Il n’y avait pas de sanitaires. Seulement une auge à cochon et des cabanes en bois pour se changer. Après les séances, j’enlevais le gros de la terre de mes chaussures dans un petit robinet de cuivre rouillé et c’est tout. Le vrai football du dimanche quoi. Malgré ces conditions rocambolesques, on a réalisé un joli parcours en coupe de l’Ouest 1979. Un de mes plus beaux souvenirs. On a reçu le Cercle Paul Bert (DH), cinq divisions nous séparaient. Ils ont pris 5-1. Le tour d’après, en 64ᵉ de finale, on a affronté Romillé (promotion d’honneur), trois divisions au-dessus de nous. On leur a mis 5-0 à la maison. En 32ᵉ, on s’est incliné 1-0 à Janzé (DRH). On n’aurait jamais dû perdre. J’étais fou parce qu’une cinquantaine de personnes était venue nous supporter. Les gens de Thorigné assistaient volontiers aux matches, ça leur faisait une sortie en famille. Et après, tout le monde allait boire un coup, il y avait cinq ou six bistrots dans la commune et du monde partout.

« Ça, c’est une équipe de bras cassés dans un tournoi qu’on est allé faire je ne sais plus où avec Thorigné. Elle est excellente comme photo. »

J’ai rencontré des gens merveilleux dans ce petit club de huitième division, comme Didier Simon, Jean-Paul Calette, Jean-Jacques Hervé ou Patrick Gaigneux qui sont encore mes amis aujourd’hui. On formait une belle bande de copains rassemblée par le football. Les matches se déroulaient le dimanche après-midi et la troisième mi-temps finissait souvent à la maison avec toute l’équipe. Le lendemain, on refaisait le monde et les évènements de la vieille dans le bar de Bernadette. Ce n’était pas triste. Un soir, Marcel Colio avait pris le vélo du patron du bar, Louis Drouillet. Il faisait le con à entrer et sortir sur sa bicyclette. À un moment de temps, vrouf, Marcel a pris un seau d’eau sur la tête. (Rire) Il n’y avait jamais de méchanceté. Jamais une embrouille. On formait un groupe « d’adolescents » trentenaires qui faisaient des conneries pour faire rire la galerie.

« Une troisième mi-temps classique dans notre garage. On chantait, on buvait et on discutait tous ensemble. »

En 1980, le club a été invité en Angleterre pour jouer contre Wendover. Une fête et une rigolade d’anthologie. On est parti de Thorigné à 7h du matin avec à un ou deux bus, soit une cinquantaine de joueurs et leurs compagnes. Dans chaque sac, on entendait gling, gling, gling. Le premier bouchon a sauté au bout de cinq kilomètres. On avait emmené un coq surnommé Pepito. C’était interdit, mais on ne le savait pas nous. Arrivé chez les Anglais, un douanier est monté dans le bus. Le coq s’est mis à chanter. Jean-Luc a vu le truc se faire et il a commencé à imiter l’animal pour tromper le douanier. Oh putain, la rigolade. On a lâché le volatile sur le terrain avant le match. Les joueurs d’en face n’étaient pas contents. Toute la bande courait pour récupérer le coq, pas moyen de l’avoir. D’un coup, notre gardien, Jacques Betuel, a plongé. Il s’est loupé et s’est écrasé la tête contre un grillage. On a explosé de rire. Rentré en France, Pepito s’est mué en mascotte. On le mettait avec les poules de Philippe Jaquet toute la semaine, il venait voir le match du dimanche et il faisait la fête avec nous dans le bar de Bernadette le lundi soir.

J’ai décidé d’arrêter la double licence en 82. Je m’entrainais le mardi et le jeudi soir et j’allais aux matches le samedi et le dimanche, sans compter les troisièmes mi-temps. Le sport devenait envahissant au quotidien. J’avais besoin de plus de temps pour faire des travaux dans notre maison. J’ai conservé mon travail manuel qui me plaisait bien à la fac, mais j’ai quitté l’équipe de Rennes Sciences. J’ai préféré continuer avec Thorigné. On s’adorait tous et j’étais pote avec tout le patelin grâce au foot.

« C’est l’une de mes dernières années de foot. J’étais joueur et entraîneur d’Acigné. »

En 1985, j’ai voulu recommencer l’expérience. Le foot m’avait permis de rencontrer tout plein de monde à Thorigné alors je me suis inscrit dans le village d’à côté : Acigné.

Ce sont mes dernières années à un bon niveau. Je m’amusais bien avec les gars d’Acigné. Si bien que je suis devenu entraîneur et joueur à 38 ans. L’ailier gauche et l’ailier droit n’atteignaient pas mon âge à eux deux. (Rire) Comme tout le monde, je n’ai pas été épargné par le temps. Mais, ça s’est super bien passé. Ils étaient adorables ces gamins.

Trois ans après mon arrivée, beaucoup de bons joueurs étaient partis. On s’est retrouvé avec une équipe de bras cassés en première division district. La saison a commencé avec le gardien des juniors dans les cages. Il était gentil, mais il nous faisait des crises d’égo. Alors, je l’ai viré et je suis allé chercher le « vieil Alain ». C’était un routier, le pauvre père, il ne pouvait pas venir aux entraînements, mais il fournissait de gros efforts le week-end. Lors du dernier match de la saison 88, on jouait à Servon. Il ne fallait absolument pas qu’on perde pour se maintenir. À chaque fois que j’inscrivais un but, et j’en ai mis trois cet après-midi-là, le vieux se faisait lober. Score final 5 à 5. On s’est maintenu. Merci, cher Alain.

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Je garde un bon souvenir de mes années à Acigné, mais ça s’est mal terminé. Au début des années 90, je voulais arrêter d’entraîner dans ce club et personne ne s’est bougé pour me trouver un remplaçant. J’ai continué afin de rendre service, mais le soir du dernier entraînement avant le championnat, il y avait un match de coupe d’Europe à la télévision et les gars de l’équipe première ne sont pas venus. J’étais blessé, en colère. J’ai claqué la porte et je suis parti. C’est mon pire souvenir.

Après mon départ, j’ai discuté avec mon pote, Pierre Provot, qui était arbitre de touche et qui dirigeait la buvette du club. Il m’avait confié « mon pauvre, ça n’a plus rien à voir ». «Aujourd’hui, les gars sont des consommateurs. Ils font leurs matches et ils se barrent. Il n’y a plus cette rigolade comme avant ». Pourtant, c’était ça qui m’intéressait. J’aimais sortir avec mes coéquipiers pour les connaitre en dehors des terrains et lier des amitiés.

J’ai pris ma dernière licence avec les vétérans de Thorigné-Fouillard, mais je jouais avec les séniors en équipe C. J’entraînais aussi toutes les autres équipes du club. En 1994, j’ai arrêté le foot parce que j’avais 43 ans, mal partout et ça commençait à bien faire. Une ultime saison sympa et un joli dernier match. Une dizaine de vieux machins, mes anciens coéquipiers, ont assisté à ma dernière rencontre. Malgré l’âge, j’ai inscrit mon dernier but : un coup franc en pleine lucarne. Magnifique. J’ai lâché un regard à mes potes debout sur le bord du terrain stabilisé pour leur faire comprendre que « le vieux avait encore une belle patte gauche ». Ils ont rigolé. On a partagé un beau moment. Ainsi s’est conclue mon histoire avec le sport qui a rythmé quarante ans de ma vie.