Le terrain de basketball du 144 quai de Jemmapes se démarque dans le 10ᵉ arrondissement parisien. Mercredi 1ᵉʳ mai, ce playground imprégné de culture américaine accueille une quarantaine de joueurs pour des oppositions de haut vol. Intensité, culture et trash talk : immersion en images dans un lieu d’échange et de compétition.

Investi depuis 15 h, le 144 quai Jemmapes baigne dans une ambiance particulière. Les morceaux de rap, de jazz ou de blues s’échappent d’une grosse enceinte noire posée derrière le panier tagué et s’accordent aux bruits de ballons qui rebondissent. Les maillots colorés et les dernières paires attirent le regard. Les spectateurs viennent pour discuter, d’autres pour fumer ou boire, mais tout le monde regarde les matchs. Entre les grilles de ce playground étriqué, la culture américaine se mêle au basket français.

Bordé par le canal Saint-Martin, le terrain de basketball du 144 quai de Jemmapes est un lieu connu des amateurs de balle orange. Le petit carré de béton rouge et noir mitoyen d’un skatepark ressort dans le riche décor du 10ᵉ arrondissement parisien. Ce mercredi 1ᵉʳ mai, une quarantaine de basketteurs se retrouvent pour s’affronter par équipe de trois sur le macadam.

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« J’ai eu un coup de cœur. Sur un terrain comme celui-ci, je peux jouer à l’instinct. Je peux faire des passes à l’aveugle pour divertir les gens sur les réseaux. C’était impossible en club », déclare Mamayo (premier plan de dos). L’ancien joueur de Nationale 3 est à l’origine de cet engouement. Avec plus de 175 000 abonnées sur TikTok, il fédère par ses frasques balle en main et ses bons mots. Basketteur spectaculaire et porté sur la joute verbale, il s’entraîne à Jemmapes depuis 15 ans.

 « Il y a toujours eu beaucoup de trash talk ici, je n’ai rien inventé. Mais, ça m’a tout de suite convaincu. Se chambrer est un plus qui donne de la saveur au match », raconte le patron de Jemmapes. Mamayo maitrise particulièrement cet aspect du jeu. « Tu vas voir ce que je vais te mettre » et autres « en tout cas, faut être prêt », résonnent souvent dans le terrain parisien.

Le trash talk (de l’anglais « parler poubelle ») s’est démocratisé sur le mythique playground new-yorkais : Rucker Park. Il s’agit d’une forme de chambrage très ancrée dans la culture du basketball de rue. Un joueur qui manie la balle comme les mots : harangue ses coéquipiers, se moque des faiblesses de l’adversaire et cherche à l’humilier par des gestes techniques incisifs (crossover) ou spectaculaires (dunk).

« Les gens viennent de tout Paris pour s’affronter sur notre terrain. Il doit bien y avoir une raison. Je pense qu’ils aiment l’ambiance et surtout la compétition », affirme Mamayo. Le terrain couvert de bitume accueille des vagues successives de joueurs tout au long de la journée. Sur le bitume usé du Jemmapes, le basket joue le rôle de lien social. Les âges et les origines de chacun se perdent dans le jeu. Ici, la compétition règne en maitre.

Ce qui différencie le 144 des autres terrains de basket de la capitale, c’est l’intensité des confrontations. Le jeu y est fait de défense en hommes à hommes et d’isolation propre au streetball. Un cadre parfait pour les affrontements rugueux et l’esprit de compétition. Vivaldo (à gauche, avec la balle en main) apprécie jouer sur les bords du canal Saint-Martin, car le niveau y est élevé. « C’est la maison. On se chambre, mais l’ambiance est familiale. Quand on est sur le terrain, il n’y a plus d’amitié qui tienne, mais dès que le match est fini, on se pose ensemble pour discuter ou rigoler ».

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Le spectacle semble plaire aux badauds. Vincent ne se lasse pas d’assister aux rencontres enlevées du 144 qui se déroulent à quelques pas de chez lui. « J’ai pratiqué le basket pendant 10 ans et je sais qu’il y a un très bon niveau ici. Certains joueurs évoluent en Nationale ou en Régionale, je crois. Jemmapes est l’un des meilleurs playground de Paris. Dès qu’il fait beau, je viens les regarder », savoure le juriste de 35 ans.

Un spectacle pour les grands et les petits. Du haut de ses « deux ans et demi », Gisèle profite de la fête du Travail et du beau temps pour « aller voir les grands » qui enchainent les actions spectaculaires. Trop jeune pour comprendre le langage fleuri de l’endroit, « elle est fascinée. Comme on habite juste à côté, on vient souvent pour lui permettre de voir les matchs. L’ambiance est chouette et les joueurs sont très gentils avec Gisèle quand il la voit », confie sa maman dont elle ne quitte plus les bras.

« Les joueurs qui viennent ici ont beaucoup de culot ». L’ambition des membres de l’association Jemmapes ne se limite pas au simple cadre du terrain. Briller, chambrer et se démarquer forme une identité qui s’inscrit dans une stratégie de communication. Pour la community manager du compte Instagram et TikTok @le_144, Marina Moreira (à gauche, en train de filmer), il faut mettre en avant l’ambiance des quartiers sur les réseaux. « L’ambiance a toujours été compétitive, on n’a jamais forcé sur cet aspect pour les réseaux. On veut rester vrais : si tu n’es pas bon, on va te le faire savoir et si tu fais le malin, on va te le faire savoir aussi ».

Inscrit dans la pure tradition du playground, le basket se joue sur demi-terrain à Jemmapes. L’espace de jeu est étriqué ce qui renforce l’intensité des duels et oblige chaque joueur à enchainer les courses pour se défaire du marquage. Simon (au centre) apprécie ce style. Le cadet de la compétition a « grandi sur ce terrain ». Selon, le jeune homme de 19 ans, les « anciens de Jemmapes ont grandement participé à mon éducation. Je les vois tous les jours depuis que j’ai neuf ans. Ils font presque partie de ma famille. »

« C’était génial, mais je suis épuisé », déclare Djibril qui a enchainé cinq matchs pour autant de victoires. Jemmapes permet à beaucoup de sportifs de se défouler dans un cadre agréable, mais compétitif. Personne ne veut être laissé sur la touche. Les règles sont simples : l’équipe victorieuse reste sur le terrain quand les perdants doivent sortir et attendre leur tour.

Blessé à la cheville après être mal retombé, le jeune francilien paye le prix de ses efforts de la journée. Le SAMU envoie alors une équipe pour le prendre en charge et l’amener à l’hôpital. Assis dans un fauteuil roulant, il rassure ses coéquipiers d’un laconique : « je n’ai qu’une hâte, c’est de revenir. »

À 20 h, le soleil commence enfin à décliner au-dessus du petit carré de bitume cerné de grillages. Le rebond des ballons et les éclats de voix continuent de troubler le calme de l’endroit. Seule la nuit poussera les joueurs et les spectateurs à quitter le 144 quai de Jemmapes.

Sur ce petit terrain du 10ᵉ arrondissement de Paris, la passion pour la balle orange règne et fédère les compétiteurs.

Article et photos de Tomas Jeusset

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